Alors qu’est commémoré le 130ème anniversaire de la mort de l’artiste, l’exposition du musée d’Orsay, Caillebotte. Peindre les hommes, explore la prédilection de Gustave Caillebotte (1848-1894) pour les figures et les portraits d’hommes, et ambitionne d’interroger la modernité si radicale de ses chefs-d’œuvre au prisme du nouveau regard que l’histoire de l’art porte sur les masculinités du 19ème siècle.
En 2021 et 2022, le J. Paul Getty Museum et le musée d’Orsay ont acquis respectivement deux chefs-d’œuvre de Caillebotte, Jeune homme à sa fenêtre et Partie de bateau. Ces deux tableaux sont emblématiques du travail de l’artiste impressionniste, dont près de 70% des tableaux de figures représentent exclusivement des hommes, et qui semble s’être intéressé surtout au côté masculin de la modernité, à la différence de Manet, Degas ou Renoir pour qui la « vie moderne » s’est incarnée plutôt dans des figures féminines ou des scènes de sociabilités mixtes.
Bâtie autour de ces deux toiles, ainsi que du chef-d’œuvre Rue de Paris ; temps de pluie, prêté par l’Art Institute of Chicago, l’exposition Caillebotte. Peindre les hommes compte environ 144 œuvres, dont les plus importants tableaux de figures de Caillebotte mais aussi plusieurs pastels méconnus, et un important ensemble d’études peintes et de dessins préparatoires pour ses compositions les plus célèbres, comme Raboteurs de parquets ou Le Pont de l’Europe (Genève, musée du Petit Palais). Des photographies, prises notamment par le frère de l’artiste, Martial, et des documents d’archives parfois inédits mettent en contexte les œuvres et donnent corps à la vie et à la personnalité de Caillebotte.
Fidèle au programme du « réalisme », Caillebotte n’observe et ne peint que ses contemporains les plus immédiatement proches de lui : ses frères, ses amis, les passants dans les rue de Paris au bas de chez lui, des ouvriers ou domestiques travaillant pour sa famille, les hommes avec qui il canote sur l’Yerres ou navigue sur la Seine. L’audace de son art, avec ses cadrages immersifs et « photographiques » inédits et son goût des puissants contrastes de lumière et de couleurs, réside aussi dans la façon dont il a fait entrer de nouvelles figures dans l’histoire de la peinture, comme celles de l’ouvrier urbain, du sportif ou encore de l’homme nu à sa toilette.
Dans un monde en mutation, où le « triomphe de la virilité » (selon l’expression de l’historien Alain Corbin) commence doucement à se fissurer sous les effets de l’humiliation militaire de la guerre de 1870-1871, des revendications plus pressantes des femmes à l’émancipation et à l’émergence de subcultures homosexuelles jusqu’alors invisibilisées, ces figures nouvelles non dénuées de séduction participent alors pleinement à la redéfinition d’un nouvel idéal masculin viril et moderne. Idéal qui est aussi celui de l’artiste, qui semble aussi bien s’identifier à ces hommes que les admirer. Le contexte politique d’affirmation de la IIIème République et de ses valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité au cours des années 1870-1880 constitue également un terrain particulièrement propice à l’expression du goût de Caillebotte pour les sociabilités masculines et les entreprises collectives (le groupe impressionniste, le Cercle de la voile de Paris) lui permettant de minimiser la différence de classe qui le sépare parfois de ses amis.
Ce sont eux que Caillebotte fait le plus souvent poser dans son appartement du boulevard Haussmann. La plupart sont de jeunes hommes non mariés et sans enfant comme lui, rentiers, fonctionnaires ou artistes. Certains sont saisis dans des attitudes contemplatives, regardant la ville à distance depuis les balcons, d’autres, installés plus ou moins confortablement dans des sofas et fauteuils, nous jettent des regards où se lit une certaine gravité ou plus simplement l’ennui. Cette petite société de célibataires se réunit parfois autour d’une table à jeu pour une Partie de Bézigue qui prend l’allure d’une véritable peinture d’histoire. Proche en cela de Berthe Morisot ou Mary Cassatt, Caillebotte est un des rares artistes hommes de sa génération à s’intéresser autant à l’intimité et à l’univers domestique, sphère féminine par excellence au 19ème siècle.
Ce sont ces sujets et ce « trouble dans le genre » (pour reprendre les mots de la philosophe Judith Butler), qui donnent à l’œuvre de l’artiste une grande partie de sa tension vitale et de sa puissance de subversion, que la présente exposition et son catalogue souhaitent explorer.
À la fois chronologique et thématique, l’exposition Caillebotte. Peindre les hommes retrace la carrière de l’artiste et explore en 10 salles ses grands sujets de prédilection dans le domaine de la peinture de figure : l’intimité familiale et ses frères, les travailleurs urbains, l’espace public avec ses passants, les hommes au balcon, en intérieur ou nus à leur toilette, les sportsmen et le canotage, ou encore les portraits de ses amis parisiens ou ses voisins du Petit Gennevilliers. À travers ces sections se dessine, en creux, un portrait de Caillebotte aux multiples facettes (le bourgeois, le peintre impressionniste, le collectionneur et l’amateur, le célibataire, le sportif etc.), mais qui garde encore une part de son mystère. La présence de figures féminines tout au long du parcours souligne la singularité de l’artiste, qui représente tout aussi bien les hommes que les femmes de son temps lisant, observant, jardinant, etc. Les uns comme les autres sont dépeints crûment, sans flatterie, et aucun jeu de séduction ou de pouvoir ne semble véritablement se dégager de ces situations indéterminées.
Découvrir l’exposition Caillebotte. Peindre les hommes en vidéo
Infos pratiques
18 oct. 2024 - 19 janv. 2025
Musée d'Orsay
1 rue de la Légion d’Honneur75007 Paris Tél. :+33 (0)1 40 49 48 14
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18 oct. 2024 - 19 janv. 2025
Musée d'Orsay
1 rue de la Légion d’Honneur75007 Paris Tél. :+33 (0)1 40 49 48 14